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- Catégorie : Prédications
- Publié le dimanche 10 avril 2022 10:30
- Écrit par David Veldhuizen
POUR QUE LES PIERRES NE CRIENT PAS
Frères et sœurs en Christ,
L’année dernière, c’était déjà à l’occasion lors du dimanche des Rameaux que j’étais venu assurer le culte à Châteaudouble. Nous avions alors lu cet épisode dans l’évangile selon Marc, et la prédication portait en particulier sur le décalage entre les attentes humaines et ce que Jésus avait annoncé et expliqué. J’avais trouvé réconfortant que Jésus progresse dans sa mission pour nous sauver sans attendre que nous soyons prêts, sans attendre que nous comprenions complètement, sinon bien sûr nous serions toujours esclaves de nos illusions, de nos idoles, de nos choix mortifères.
Cette année, nous venons d’écouter le même épisode raconté par l’évangéliste Luc. S’il y a beaucoup de ressemblances entre les deux textes, on peut aussi relever un certain nombre de différences, qui nous permettent de nous intéresser à d’autres aspects de cette séquence qui ouvre la Semaine Sainte, cette semaine si particulière qui passe par la croix, la mort et le silence, avant qu’une nouvelle semaine ne commence, radicalement autre, avec un tombeau vide, et des apparitions de celui qui avait été crucifié par ses semblables.
Tant chez Luc que chez Marc, ce qui se joue alors que Jésus s’avance monté sur un ânon à travers une foule qui l’acclame, ce qui se joue a à voir avec un décalage parmi celles et ceux qui sont présents, ce qui se joue a aussi à voir avec quelque chose qui ne peut pas être empêché. Nous y reviendrons.
Commençons par identifier les différences entre le récit de Luc et ceux des autres évangiles.
- Tout d’abord, la scène se passe à proximité de deux villages, Bethphagé et Béthanie, et du mont des Oliviers : nous sommes donc bien dans les abords immédiats de Jérusalem ; mais Luc n’indique pas que l’itinéraire de Jésus consiste à entrer dans la ville de Jérusalem. D’ailleurs, c’est seulement aux versets suivants notre passage qu’il approche de la ville, puis qu’il pénètre dans le Temple. Luc met l’accent sur le mont des Oliviers, un lieu important pour la suite ; il semble au contraire vouloir minimiser la dimension politique qu’aurait l’entrée d’un homme qualifié de roi dans la capitale.
- Autre différence par rapport à Matthieu et Marc : dans ce texte, il n’y a ni branches ni rameaux pris sur les arbres et agités par la foule ! Si l’on veut être littéral, il n’y a donc pas d’entrée de Jésus à Jérusalem avec des rameaux ! Quelque part, Luc pourrait être le précurseur de la sobriété et du dépouillement réformé, là où les autres évangélistes décrivent une scène plus spectaculaire, avec davantage de gestes et d’accessoires.
- Pas de rameaux donc, et il manque encore autre chose chez Luc. L’avez-vous remarqué ? Ce sont ces cris que nous associons pourtant naturellement à cette scène, ces « Hosanna ! » prononcés par la foule, ces appels pour que le Seigneur sauve ceux qui l’appellent. Pas de « Hosanna » chez Luc, mais une citation adaptée du Psaume 118, une parole de bénédiction en faveur de « celui qui vient au nom du Seigneur », et cette expression « Paix dans le ciel et gloire dans les lieux très hauts ». Les disciples qui sont autour de Jésus ce jour-là semblent exprimer qu’ils sont témoins d’un événement historique dans les cieux, quelque chose qui touche au céleste, au cosmique… Sans « Hosanna », sans ce « sauve-nous », les acclamations de la foule sont comme désintéressées : la paix est proclamée, mais elle ne concerne pas ce monde, à ce moment… En effet, la violence a encore de beaux jours devant elle !
- Enfin, dernière particularité du récit de l’évangéliste Luc, c’est l’échange avec les Pharisiens. Ceux-ci lui demandent de faire taire ceux qui crient, et cela se comprend, car quand la foule acclame Jésus en le qualifiant de roi et surtout de celui qui vient au nom du Seigneur, cela assoit son autorité, cela renforce les critiques que Jésus leur fait… Jésus ne va pas obéir aux Pharisiens, il leur dit cette phrase sur laquelle je vais revenir : « Je vous le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront !»
Comment comprendre cette réponse ? Elle semble signifier qu’il y a une nécessité vitale à ce que quelque chose soit exprimé, quelque chose qu’on ne peut pas réduire au silence ; comme pour cet ânon disponible de façon mystérieuse, ce qui se déroule ce jour-là est inévitable, inéluctable, rien ne peut empêcher qu’il s’accomplisse. Qu’est-ce qui doit donc absolument être énoncé et entendu ?
Première hypothèse, la plus immédiate mais pas forcément la plus satisfaisante : il faudrait que Jésus soit acclamé, que la louange envers Dieu retentisse alors que Jésus s’apprête à entrer dans Jérusalem, alors qu’il s’apprête à vivre des jours qui changeront tout pour l’humanité.
Donc, si les disciples gardent en eux-même cette louange, ce seront des pierres qui les remplaceront… Rappelons-nous néanmoins que Jésus avait refusé, en Luc 4, de transformer une pierre en pain, alors que le tentateur lui proposait d’assouvir ainsi sa faim. Jésus utilise sa puissance pour guérir, et non pour prouver quoi que ce soit à ses contemporains.
Si les pierres doivent crier, c’est peut-être pour exprimer autre chose. Et il ne s’agit pas ici de galets bien lisses, mais de pierres avec des aspérités, dures au toucher, peut-être tranchantes. Dans le livre du prophète Habacuc, il est fait mention, au chapitre 2, d’une pierre dans un mur et de poutres de la même maison qui crient pour dénoncer le péché des interlocuteurs du prophète.
Le cri des pierres, c’est peut-être ces pierres sur lesquelles nous avons trébuché sur nos routes, ces pierres qui marquent notre péché. Ce jour-là, si les disciples ne confessent pas Jésus comme venant de Dieu, il n’y aura pas de silence, mais l’immensité du péché humain pour occuper l’espace…
Les pierres sont, je l’ai déjà dit, souvent assimilées à un matériau de construction. Juste après cette « promenade » de Jésus à dos d’ânon, à l’approche de la capitale, Jésus va prononcer des phrases de lamentation à l’encontre de Jérusalem. Jésus déplore que ce jour-là, tous ne comprennent pas qui il est, car leur refus de le reconnaître comme le Messie conduira les responsables religieux à vouloir, environ 35 ans plus tard, se libérer de l’occupant romain, à se révolter. En représailles, la ville sera assiégée et le Temple de Jérusalem à nouveau détruit. Je cite le verset 44 : « Ils t’écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps de l’intervention divine. »
Autrement dit, parce qu’ils s’enferment dans ce qu’ils pensent être les bonnes pratiques, parce qu’ils refusent que le Messie vienne les délivrer de leurs impasses mais aussi de leurs attentes mal ajustées, les opposants de Jésus s’engagent sur un chemin qui leur fera perdre ce qu’ils croient être le plus important : le Temple, construction visible, lieu de sacrifices et de rituels très visibles également, mais tous incapables de restaurer vraiment la relation avec Dieu…
Les pierres, expression du péché donc, expression de la vanité, expression aussi de la mort, car dans le judaïsme, les personnes condamnées sont lapidées – souvenons-nous de l’épisode de la femme surprise en situation d’adultère en Jean 8. Les pierres sont bien l’expression de la violence létale, une violence source de mort suite à de la colère. Pensons ici à ces intifadas que nous connaissons depuis plusieurs décennies, durant lesquelles des jeunes palestiniens attaquent avec des pierres l’armée israélienne…
« Je vous le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront ! » Jésus ne fait pas taire celles et ceux qui l’acclament, et nous ne savons pas précisément ce que les pierres auraient alors crié, tant il fallait que quelque chose soit rendu audible à cette occasion. Cela a à voir, assurément, avec notre relation à Dieu, que nous le louions, que nous soyons confronté à notre péché, que nous essayons de l’extirper de nos vies, ou même que nous essayons de tuer pour faire taire ce que nous ne supportons pas.
Et alors, comment ne pas penser à notre actualité ? Oui, nous sommes dans un pays où notre liberté de conscience est garantie, mais nous savons aussi tous les freins réels ou que nous imaginons à l’expression de notre foi.
Il ne s’agit pas de contraindre nos prochains, ni peut-être même de le convaincre, mais si nous taisons nos convictions, qui les fera entendre à d’autres ?
Si nous gardons secrète la Bonne Nouvelle que nous avons reçu, si nous plaçons notre espérance dans des coffre-forts, ne faisons-nous pas obstacle à cette même Bonne Nouvelle ?
Nous le savons, dans nos communautés fragiles, avec des soucis immobiliers, des communautés qui sont toujours appelées à louer Dieu : il n’est ni souhaitable ni sage de laisser les pierres s’exprimer à la place de nos bouches…
Notre témoignage, vous le savez, associe les paroles de nos bouches et les gestes de nos mains.
Et peut-être pourrions-nous être attentifs à ce que nos mains soient utilisées pour bénir, guérir, donner davantage de vie. Dans le même temps, veillons à que ce qui peut faire du mal soit exprimé par nos bouches, et ce, dans la prière.
Car oui, en tant que croyants, nous disposons de ce cadeau inestimable, cette possibilité de nous adresser à Dieu pour tout lui dire. Pensez à tous les cris de colère, aux envies de vengeances exprimées dans les Psaumes : ces tentations de violence et de mort peuvent être remises à Dieu, et bien souvent, cela suffit pour ne pas faire du mal à notre frère ou à notre sœur en humanité…
Toujours en pensant à notre actualité, et particulièrement en ce jour d’élections présidentielles, quel rôle avons-nous à jouer pour réapprendre ensemble, indépendamment de nos convictions religieuses, pour réapprendre ensemble à dialoguer ?
Il nous appartient d’oser proposer des espaces d’expression dans la bienveillance, il nous appartient de promouvoir des outils comme ceux de la communication non-violente, mais aussi comme le mode de gouvernance de notre église, qui recherche le consensus plutôt que le rapport majoritaire ou tout autre rapport de force…
Frères et sœurs, rien n’allait empêcher Jésus d’accomplir sa mission de salut, la volonté de Dieu de nous réconcilier pleinement avec lui. Malgré la violence de la Passion, les pierres n’ont pas crié. A nous, nous aussi, de renoncer à prendre des pierres puis à les jeter, à nous de renoncer à ce que les pierres s’expriment, à nous d’utiliser nos gestes et nos paroles pour louer le Seigneur et pour bénir. Amen.
28 Après avoir ainsi parlé, il partit en avant et monta vers Jérusalem.
29-30 Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie, près du mont dit des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, en disant : Allez au village qui est en face ; quand vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est jamais assis ; détachez-le et amenez-le.
31 Si quelqu'un vous demande : « Pourquoi le détachez-vous ? », vous lui direz : « Le Seigneur en a besoin. »
32 Ceux qui avaient été envoyés s'en allèrent et trouvèrent les choses comme il leur avait dit.
33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi détachez-vous l'ânon ?
34 Ils répondirent : Le Seigneur en a besoin.
35 Et ils l'amenèrent à Jésus ; puis ils jetèrent leurs vêtements sur l'ânon et firent monter Jésus.
36 A mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin.
37 Il approchait déjà de la descente du mont des Oliviers lorsque toute la multitude des disciples, tout joyeux, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus.
38 Ils disaient : Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire dans les lieux très hauts !
39 Quelques pharisiens, du milieu de la foule, lui dirent : Maître, rabroue tes disciples !
40 Il répondit : Je vous le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront !