SUIVRE JESUS

Marc 10, 35 à 45

Jésus marche vers Jérusalem. Il est suivi par sa troupe de disciples. L'ambiance générale est à la stupeur.
Et voici que tombe la troisième annonce par Jésus de ce qui arrivera  une fois qu'il sera à Jérusalem. Cette troisième annonce est encore plus détaillée et plus précise que les deux premières. Et cette fois-ci, elle est réservée aux Douze que Jésus a pris à part..

Je lis les quelques versets qui précèdent notre lecture d'aujourd'hui.

  • 32 Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux.Les disciples étaient stupéfaits, et ceux qui suivaient avaient peur. Il prit encore les Douze auprès de lui, et se mit à leur dire ce qui allait lui arriver :
  • 33 Nous montons à Jérusalem ; le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils le condamneront à mort, le livreront aux païens, 34se moqueront de lui, lui cracheront dessus, le fouetteront et le tueront ; et trois jours après il se relèvera.

C'est là que JACQUES et JEAN se rapprochent de Jésus pour lui faire leur demande, à l'insu des autres membres du groupe. Jusqu'ici, je pensais que tout se passait comme si Jésus, annonçant sa passion, sa mort, puis, trois jours après son relèvement... avait parlé dans le vide. Comme si ses paroles n'avaient pas « imprimé » dans le mental des disciples.
Or, le texte semble indiquer le contraire. L'état de stupéfaction, de retournement des disciples --et la peur qui s'est répandue dans la troupe-- sont bien dûs à l'appréhension de ce qui va se passer à Jérusalem.

Du coup, la demande de Jacques et Jean apparaît comme moins futile qu'elle n'en a l'air, au premier abord. Le contexte est rempli de violence. Jacques et Jean n'éludent pas le scénario violent dévoilé par Jésus, mais ils s'y projettent au contraire et veulent y occuper les premières places au côté de Jésus. Pas si naïfs que cela, Jacques et Jean !! En réalité, ils ont une âme de martyrs !!

Ils sont prêts à suivre Jésus jusque dans la mort, et par leur demande ils témoignent à Jésus :

  • qu'ils ont compris avant tous les autres le message que Jésus voulait leur faire passer,
  • qu'ils ne le lâcheront pas au cœur de la tourmente. Leur réplique « Oui, nous le pouvons » veut dire cela : nous avons compris, et nous sommes prêts à te suivre jusque dans la mort.

Jésus ne jette pas l'opprobre sur leur démarche, mais il ne peut pas satisfaire leur demande. Celle-ci devient l'occasion d'un enseignement sur la manière de vouloir être  grand ou d'être premier. Cet enseignement fait apparaître que la demande de Jacques et Jean est en complet « décalage » par rapport à l'Evangile. Il nous faut tout d'abord comprendre pourquoi elle est en « décalage »... Après quoi nous pourrons revenir sur l'enseignement de Jésus dont elle a été le prétexte.

 

L'attitude de Jacques et Jean est généreuse et elle est touchante. Ils veulent mourir avec Jésus, en donnant leur vie pour lui. Même s'il y met des formes, Jésus rejette cette proposition.
Visiblement Jésus n'attend pas de ses disciples de mourir en héros à ses côtés. Surtout si c'est pour s'assurer les meilleures places avec lui dans le monde à  venir ! Il n'est pas sans intérêt de le préciser à notre époque où la tentation de la radicalisation religieuse guette une certaine jeunesse. Ouf ! Le christianisme ne promet pas des faveurs extraordinaires à ceux qui feraient le sacrifice de leur vie pour Jésus !

Peut-être parce que l'être humain peut être animé par une pulsion de mort, et que la recherche du martyre pour la gloire qu'il est sensé procurer ressemble trop à une fuite en avant, par peur ou par haine de la vie !! L'attrait pour le martyre n'est pas exempt d’ambiguïté : il est avant tout un attrait pour la violence et doit toujours être suspecté de nihilisme.

A l'époque des réseaux sociaux, il est bon de savoir que Jésus a refusé à deux de ses plus proches disciples (« lieutenants ») de suivre la voie du martyre. Jésus met bien le doigt sur leur aspiration à vouloir se faire un nom à vouloir « se grandir et être premier » à travers le martyre. Il coupe court à ce genre de velléité... et va chercher à réorienter différemment l'aspiration de Jacques et Jean à l'imiter et à le suivre.

D'ailleurs, la question se pose de savoir si « suivre Jésus », c'est forcément vouloir faire comme lui (ce qui est le sens du verbe imiter). « L'imitation de Jésus Christ » est un best-seller de la littérature d'édification (= livre de piété du Moyen Age). Mais l'expression qui caractérise les disciples, bibliquement parlant (mise en valeur par Dietrich Bonhoeffer dans « Le prix de la grâce »), c'est la « suivance » (Nachfolge).

Comme tout mimétisme, le mimétisme de Jacques et Jean est ambigu. L'Evangile, fort heureusement, provoque un déplacement par rapport au désir de Jacques et Jean, qui pourrait être aussi le nôtre. Si notre imitation de Jésus est faussée ; si elle n'est pas désintéressée ; si on veut détourner en quelque sorte la mort de Jésus « pour soi »... alors cette mort perd toute son utilité, sa fécondité.

L'Evangile d'aujourd'hui nous dit que nous sommes responsables de ce que nous faisons de la mort de Jésus. En lisant l'Evangile, nous faisons de la théologie sans le savoir : nous apprenons à être responsables du sens que nous donnons à la mort de Jésus sur la Croix.
Car c'est pour cela que l'Evangile a été écrit. Jésus ne veut pas faire d'émules au sens où Jacques et Jean l'entendent. Jésus s'appuie sur leur réaction pour enseigner à l'ensemble des Douze ce qu'il y a à comprendre et à retenir sur un plan moral ou éthique de sa mise à mort annoncée à Jérusalem, avec la complicité du pouvoir païen.

 

 

Ce sur quoi insiste en effet Jésus, après chacune des trois annonces de la Passion (chapitres 8, 9 et 10), c'est le « renversement de perspectives » dans les relations sociales généralement marquées par la domination des uns sur les autres.
Jésus rompt avec la justification y compris religieuse d'un ordre social injuste, qui opprime les petits. Il inaugure des relations humaines où les valeurs du Règne de Dieu viennent bousculer les valeurs de la société ; où les plus petits dans la société deviennent grands au regard de Dieu, où l'autorité retrouve son vrai sens de « ce qui fait grandir l'autre ».

Jésus attend de son disciple qu'il comprenne sa mort (celle de Jésus) comme une vie donnée pour lui permettre (à lui disciple) d'accéder à une vie plus pleine et plus belle. Pour lui permettre de « changer radicalement » et de devenir ainsi un acteur du monde nouveau, selon Dieu : le monde renouvelé par la venue du Règne de Dieu.

C'est ainsi que je comprends la déclaration finale de Jésus : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup ». Le mot « rançon » (lutron en grec) désigne le prix payé en échange de la libération d'un prisonnier. C'est le prix de la liberté : ce qu'il faut consentir à perdre pour obtenir --ou reconquérir-- le bien inestimable qu'est la liberté. Jésus consent à ce que sa vie à lui, soit le prix à payer pour que nos vies à nous soient transformées, pour qu'elles soient des vies libres et épanouies sous le regard de Dieu.

Il n'y a dans ce passage aucune allusion à un sacrifice au sens religieux (juif ou païen) du terme. La dimension sacrificielle du propos de Jésus se comprend sur un plan exclusivement moral ! Jésus désire que sa mort soit utile à d'autres. Elle ne sera pas utile à Jacques et à Jean s'ils mettent à exécution leur projet d'accompagner Jésus dans la mort. Leur mort à eux deux serait absurde et totalement inutile. Jésus leur demande d'y renoncer, en respectant le caractère unique et « pour la multitude » de sa propre mort.

 

 

Devant la crise du sens et nos Eglises qui se vident... notre premier devoir est de relire nos textes, et de réinterpréter nos textes.

La dogmatisation excessive du christianisme qui a accompagné son passage dans le monde gréco-romain, est la cause principale de sa désaffection par la société d'aujourd'hui. C'est aussi elle qui est responsable du fait qu'il y a probablement aujourd'hui beaucoup de vrais « chrétiens » qui n'appartiennent pas à une Eglise.

On a pu dire du protestantisme qu'il était victime de son succès, et disparaissait parce que ses valeurs avaient été absorbées par la société civile... Si seulement on pouvait dire la même chose du christianisme !Ce que nous constatons, hélas, c'est que la sécularisation va de pair avec une profonde déchristianisation.

Le christianisme a une nouvelle chance si nous savons le réinventer à partir des textes fondateurs, en rompant avec la tradition ! Une des pistes, c'est de revenir à un christianisme sapientiel --qui passe par l'expérience : « goûter que le Seigneur est bon » (1 Pierre 2, 3) et savoir qu'on peut lui faire confiance pour prendre soin de nous (1 Pierre 5, 7).

 

Marc 10, 35 à 45

La demande de Jacques et de Jean
 
35 Ensuite, Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, viennent auprès de Jésus et ils lui disent : « Maître, nous allons te demander quelque chose, et nous souhaitons que tu acceptes. »
36 Jésus leur dit : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse pour vous ? »
37 Ils lui répondent : « Quand tu seras dans ta gloire, permets-nous de nous asseoir à côté de toi, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche. »
38 Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Est-ce que vous pouvez boire la coupe de souffrance que je vais boire ? Est-ce que vous pouvez être plongés dans la souffrance, comme je vais l’être ? »
39 Ils lui répondent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « Oui, vous boirez la coupe que je vais boire, et vous serez plongés dans la souffrance comme moi.
40 Mais je ne peux pas décider qui sera assis à ma droite ou à ma gauche. C’est Dieu qui a préparé ces places pour certains, c’est à eux qu’il les donnera. »
4 1Les dix autres disciples entendent cela et ils se mettent en colère contre Jacques et Jean.
42 Alors Jésus les appelle auprès de lui et il leur dit : « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des peuples les commandent comme des maîtres. Et les gens importants font peser leur pouvoir sur les autres.
43 Mais entre vous, cela ne se passe pas ainsi. Au contraire, si l’un de vous veut être important, il doit être votre serviteur.
44 Et si l’un de vous veut être le premier, il doit être l’esclave de tous.
4 5En effet, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi. Il est venu pour servir et donner sa vie pour libérer un grand nombre de gens. »