JE SUIS BARUCH !

Jérémie 45, 1 à 5

La période est difficile comme elle l’a rarement été, en tout cas depuis bien longtemps.
Nous sommes toutes et tous éprouvés au-delà même de ce que nous pouvions imaginer : confinement dont nous ne voyons pas l’issu, angoisse liée au terrorisme, dérèglement climatique qui met en danger jusqu’à notre existence même, sans oublier la détresse des migrants en Méditerranée et un peu partout sur la planète. L’horizon semble fermé.
Dieu aurait-il condamné notre monde ?
Le texte proposé ce 14 novembre comme lecture biblique semble répondre positivement à la question et nous plonger un peu plus dans le découragement et le désespoir.

Baruch, le fidèle disciple, compagnon et secrétaire du prophète Jérémie, chargé d’écrire les paroles de jugement que Dieu demande au prophète de prononcer sur le peuple, Baruch est abattu. Il ne supporte plus de devoir assumer d’être le porte-plume d’un message de jugement.
Alors Dieu, par la bouche de Jérémie, s’adresse à lui :

1 La parole que le prophète Jérémie adressa à Baruch, fils de Nériya, quand ce dernier écrivait ces paroles dans un livre, sous la dictée de Jérémie, en la quatrième année de Yoyaqim, fils de Josias, roi de Juda :
2 « Ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, pour toi, Baruch :
3 Tu dis : “Pauvre de moi ! le Seigner ajoute l’affliction aux coups que je subis ; je suis épuisé à force de gémir, je ne trouve pas de repos.”
4 Voici ce que tu lui diras – Ainsi parle le Seigneur : Ce que je bâtis, c’est moi qui le démolis ; ce que je plante, c’est moi qui le déracine, et cela par toute la terre.
5 Et toi, tu cherches à réaliser de grands projets ! N’y songe plus ! Je fais venir le malheur sur toute chair, mais à toi j’accorde le privilège d’avoir au moins la vie sauve partout où tu iras. »

Deux figures de Dieu se font connaitre dans ce texte.

D’un côté le Dieu qui juge, ce Dieu redoutable et terrible dont la justice semble s’abattre sur le monde.
De l’autre le Dieu qui prend soin de son enfant au cœur même de la tempête.
Ces deux figures sont là pour nous faire réfléchir et il nous faut nous y confronter, et d’abord à celle du juge. Derrière la figure de ce Dieu redoutable en effet, il faut entendre le jugement porté sur l’orgueil de l’humain et de ses prétendues réussites. Et aujourd’hui ce jugement résonne de façon particulière pour nous :

  • L’Occident qui se pensait invulnérable, maître par la technique de la création, se sent démuni et ne sait plus que faire face à la pandémie.
  • L’Occident et sa civilisation est également contesté dans ses prétentions hégémoniques et sa volonté d’imposer à tous son « modèle ».
  • Et puis enfin, l’Occident ne sait plus quoi faire devant le dérèglement climatique que semble avoir provoqué son appétit vorace de production et de consommation.

Alors oui, d’une certaine manière on peut dire que Dieu, c’est-à-dire une instance extérieure à notre monde et à ses logiques, Dieu juge ce que nous avons fait de cette terre. Il met en crise le monde dont nous nous pensions les maîtres. Et c’est décourageant. C’est décourageant parce que cela remet en question non seulement les « grands projets » collectifs mais encore nos « petits projets » personnels. Comme Baruch nous sommes aujourd’hui abattus, parce que comme lui ce que nous sommes appelés à dire c’est que Dieu contredit ce que nous avions prévu.

Et puis, il y a l’autre visage de Dieu. Par l’intermédiaire de Jérémie, Dieu s’adresse à Baruch. Dieu s’intéresse à lui singulièrement. Il prend soin de sa vie. Il ne le laisse pas à son désespoir. Dieu, le Dieu de Baruch, protège son enfant.
Au milieu du chaos, au milieu de la tempête, Dieu s’intéresse, s’occupe de celui qu’Il aime. Si les projets de Baruch sont mis à mal, si l’imaginaire qu’il avait construit et qui lui donnait le sentiment d’exister est contesté, ce qu’il est comme individu, comme sujet singulier, cela a du prix aux yeux de son Dieu qui le protégera quoi qu’il arrive. Il aura la vie sauve partout où il ira : voilà le message important à retenir et voilà le message à porter, la Bonne Nouvelle à annoncer à celles et ceux qui viennent vers nous pour nous demander compte de l’espérance qui est en nous. Nous ne savons rien de l’avenir de notre monde. Nous ne savons pas si nos projets aboutiront. Le monde, notre monde est en crise. Le monde, notre monde est sous la menace du jugement et nous ne savons pas quelles en seront les conséquences.
Mais ce que nous savons c’est que, au cœur de cette épreuve notre Dieu prend soin de celles et ceux qui mettent leur confiance dans Sa confiance !

Quelle est alors la Bonne Nouvelle dont nous sommes témoins ? Que Dieu juge notre monde ? Sans doute. Le jugement est toujours prononcé en vue d’une prise de conscience et nous avons à porter un regard lucide et critique sur l’état du monde et de nos prétendues réalisations.
Mais la Bonne Nouvelle dont nous sommes témoins ne s’arrête pas à ce constat lucide et quelque peu désabusé. Non ! Elle réside dans la découverte que chacune et chacun est invité à se reconnaître dans Baruch, le serviteur du prophète, en reconnaissant comme Dieu Celui qui prend soin de chacun de ses enfants. Pour reprendre un slogan connu, nous sommes invités à affirmer : « Je suis Baruch ! »

Et alors, comme en écho à notre texte, résonne ici ce propos de Kierkegaard dans son journal : « Pour le païen, les futilités sont trop peu de choses pour que Dieu s’en occupe : un homme isolé ne l’intéresse pas, mais bien un peuple, les affaires d’un peuple, etc. ; bref, il y a quelque chose dont l’importance intrinsèque doit préoccuper Dieu. Pour le christianisme au contraire, Dieu est une majesté tellement infinie que rien ne saurait en soi le préoccuper, sinon pour autant que cela plaît à Sa Majesté. D’où suit encore que la dernière des futilités peut retenir son attention. […] S’il éclatait une guerre non seulement européenne, mais une guerre où l’Europe entrerait en conflit avec l’Asie, et où l’Afrique, l’Amérique et l’Australie seraient obligées de participer, cela n’intéresserait absolument pas Dieu. Mais qu’un pauvre homme lui adresse ses soupirs, voilà ce qui le préoccupe, car tel est le bon plaisir de Sa Majesté et cela le touche en sa subjectivité. »

Tel est le Dieu dont nous sommes le peuple, tel est le Berger de ce troupeau singulier qu’est l’Église : s’Il se révèle comme juge, s’Il nous met en crise, c’est pour que, de cette crise, émerge un humain qui se sache conduit et préservé dans le tourbillon d’un monde dont il ne discerne plus l’avenir.
Traduit dans le langage du Nouveau Testament : en Christ, Dieu s’est approché de nous et s’est fait compagnon de nos routes.

Alors quoi qu’il en soit de l’avenir, nous ne sommes pas seuls. Aucun humain n’est laissé seul.
Telle est la Bonne Nouvelle qu’il nous faut plus que jamais proclamer : il n’y a d’universalité du message biblique qu’en passant par la singularité de cette Bonne Nouvelle adressée à chacune et chacun !

 

Jérémie 45, 1 à 5

1 La parole que le prophète Jérémie adressa à Baruch, fils de Nériya, quand ce dernier écrivait ces paroles dans un livre, sous la dictée de Jérémie, en la quatrième année de Yoyaqim, fils de Josias, roi de Juda :
2 « Ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, pour toi, Baruch :
3 Tu dis : “Pauvre de moi ! le Seigneur ajoute l’affliction aux coups que je subis ; je suis épuisé à force de gémir, je ne trouve pas de repos.”
4 Voici ce que tu lui diras – Ainsi parle le Seigneur : Ce que je bâtis, c’est moi qui le démolis ; ce que je plante, c’est moi qui le déracine, et cela par toute la terre.
5 Et toi, tu cherches à réaliser de grands projets ! N’y songe plus ! Je fais venir le malheur sur toute chair, mais à toi j’accorde le privilège d’avoir au moins la vie sauve partout où tu iras. »