UN REDEMPTEUR VIENDRA

Esaïe 59, 15b à 21 – 2 Pierre 3, 1 à 14  –  Matthieu 9, 10 à 13

Ce texte a été écrit par celui que l'on appelle le troisième Esaïe ; mais il s'agit peut-être d'une école de pensée. Il a été écrit à Jérusalem, vers 500 av. J-C., soit une quarantaine d'années après l'édit de Cyrus autorisant les Juifs à revenir de Babylone, où ils étaient en exil. C'est donc une période de retour, de reconstruction, d'élan national et religieux.

Ce retour d'exil s'apparente, il est vrai, à une sorte de salut. Tout est de nouveau possible ; et l'on se souvient des promesses des prophètes antérieurs, quand ils annonçaient la venue du Messie.

Mais l'enthousiasme s'est estompé. Les Israélites attendaient la gloire d'Israël, l'arrivée du Messie, mais rien ne s'est produit. En tous cas rien qui puisse ressembler à une action divine. Au contraire, les difficultés, en ce qui concernait la reconstruction de la ville et du temple, se sont accumulées. Etait-ce un simple retard du Messie ? Ou fallait-il ne plus croire aux promesses ? Aux prophètes de répondre.

Le troisième Esaïe a une explication.

Le salut est retardé à cause du péché d'Israël. C'est le message contenu, entre autres, dans les premiers versets du chapitre 59. Non, la main du Seigneur n'est pas trop courte pour sauver, ni son oreille trop dure pour entendre. Mais ce sont vos crimes qui mettent une séparation entre vous et votre Dieu ; ce sont vos péchés qui vous cachent sa face et l'empêchent de vous écouter (v. 1 et 2).C'est pourquoi la délivrance est loin de nous, et le salut ne nous atteint pas ; nous attendons la lumière, et voici les ténèbres, la clarté, et nous marchons dans l'obscurité (v. 9).

C'est dans la veine du message des prophètes antérieurs à l'exil. Eux qui disaient que l'idolâtrie, l'impiété et l'injustice des Israélites les conduisaient au jugement. On croirait, en effet, entendre le premier Esaïe lorsqu'il disait : Malheur à la nation pécheresse, au peuple chargé d'iniquités ... ils ont abandonné le Seigneur, ils ont méprisé le Saint d'Israël (1, 4). C'est peut-être la raison pour laquelle ce prophète du 6ème siècle a signé sa prophétie du nom d'Esaïe, qui l'avait précédé de deux siècles.

Fini le discours de pardon et d'espérance du deuxième Esaïe qui annonçait le retour d'exil en disant que le péché d'Israël était expié, et sa faute effacée (40, 2), et que Dieu prenait l'initiative en délivrant son peuple. C'est le Seigneur lui-même qui revenait, d'ailleurs, par le chemin du désert (40, 3). L'homme, lui, il est comme l'herbe qui sèche et tombe ; mais la parole de Dieu subsiste éternellement (40, 8).

Mais ce n'est pas le discours du troisième Esaïe. Ce n'est plus Dieu qui fait l'histoire par sa grâce, mais l'homme, par ses fautes ou sa repentance. C'est là le débat du message prophétique, et des Ecritures tout entières.

Pour le troisième Esaïe, Dieu est un juge. Il est revêtu de la vengeance et de la jalousie (59, 17). Il rendra à chacun selon ses œuvres, la fureur à ses adversaires, la pareille à ses ennemis (v. 18).

Voilà la rançon d'une théologie de la rétribution, quand on croit que la démarche fondamentale de Dieu est de juger les œuvres des hommes, de les bénir ou de les punir en fonction de leurs actions. Dans ce contexte, il est inévitable que Dieu apparaisse comme un guerrier cuirassé et vengeur. Le monde entier prend peur de Dieu, et tente, soit de l'acheter, soit de le fuir.

Est-ce là le seul message du prophète ? Si c'est le cas, Esaïe n'apporte rien de nouveau ; car les dieux que les hommes ont inventés sont toujours juges et vengeurs, à l'image de leurs inventeurs. Qui plus est, ce message n'a rien d'encourageant et de mobilisateur, car la peur paralyse.

Non, ce n'est pas le seul message du troisième Esaïe ; il ouvre aussi la porte de l'espérance.

Un rédempteur viendra, annonce le prophète (v. 20).

La TOB traduit : il viendra en rédempteur. C'est Dieu lui-même qui vient racheter son peuple.

Au delà des difficultés et des questionnements, le prophète annonce la venue du Seigneur et son intervention dans l'histoire. Et c'est une porte d'espérance qui s'ouvre.

Mais pour qui Dieu vient-il vraiment ?  La suite du verset 20 le dit clairement : il vient pour ceux de Jacob qui se convertiront de leurs péchés. L'auteur reste dans sa logique. Si l'homme fait l'histoire par ses choix, et si Dieu est un juge, alors le Messie ne vient que pour ceux qui se convertissent.

Une question reste cependant posée : qu'est-ce qui détermine la venue du rédempteur ?

Qu'est-ce qui détermine la venue du rédempteur ?

La Bible pose la question et tente d'y répondre, car la rencontre avec Dieu est inscrite dans l'espérance humaine. C'est toute la recherche de la communion avec le divin ; c'est-à-dire la mystique.

Deux réponses cohabitent dans les Ecritures :

C'est la fidélité ou la repentance des hommes qui détermine la venue du rédempteur.

Nous avons vu que le troisième Esaïe se fait le porte-parole de ce courant ; espérant, par l'annonce d'un jugement, qu'Israël s'engagera davantage et changera l'histoire. Il reprend le discours des prophètes du 8ème siècle (Esaïe, Amos, Osée) qui, par une prédication morale, voulaient éviter qu'Israël connaisse le malheur.

Le Nouveau Testament, aussi, développe cette thèse ; notamment l'auteur de la seconde lettre de Pierre (chap. 3). Comme le troisième Esaïe, il parle :

   -   Du jugement à venir. Il évoque la disparition de la terre et des cieux dans le feu du jugement (v. 7 et 10).

   -   Il parle du retard de Dieu dans l'accomplissement de ses promesses, comme quelques uns le croient (v. 9). Ces derniers étant des moqueurs remplis de passions personnelles (v. 4). Il faut dire que la 2ème lettre de Pierre a été écrite à une époque tardive où la foi des chrétiens dans le retour du Christ était déjà émoussée. Mais, pour l'auteur, il n'est pas question de retard de la parousie, mais de patience de Dieu.

   -   Enfin, l'auteur de la 2ème lettre de Pierre parle de la nécessité de la repentance des fidèles et de leur conduite irréprochable. Car, non seulement elles manifestent l'attente du jour du Seigneur, mais elles le hâtent. C'est dire à quel point le rôle de l'homme dans la venue du Seigneur (et donc dans l'histoire) est capital. On n'est pas loin de l'idée que, si l'homme ne cultive pas la sainteté, le Seigneur ne viendra jamais.

Mais il existe un autre point de vue, dans les Ecritures.

C'est la décision de Dieu qui détermine la venue du rédempteur.

Ce point de vue est présent dans les deux Testaments.

Dans l'Ancien Testament, cette façon d'aborder la question est illustrée par la plupart des interventions de Dieu pour juger ou sauver. Ces interventions surprennent, les hommes qui ne sont pas prêts et ne l'attendent pas. C'est le cas du Déluge, de l'Exode, de la naissance d'Isaac ou de l'Exil. Chaque fois, c'est Dieu qui prend l'initiative et réalise son œuvre malgré l'opposition et la non croyance des hommes.

Quant au Nouveau Testament, il est entièrement dominé par la notion d'intervention de Dieu dans l'histoire, en Jésus. Alors que l'humanité ne s'y était pas préparée.

On peut résumer cette vision de l'histoire par ce texte de Paul aux Galates (4, 4) : Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils.

Comment choisir entre le rôle de l'homme ou la décision de Dieu ?

Peut-être en remarquant que :

   -   L'annonce d'un jugement correspond à une logique humaine qui mise sur l'intérêt ou la peur pour amener l'engagement des hommes. On croit que la peur transformera les individus et améliorera la moralité, mais l'expérience (le Moyen Age, la politique sécuritaire actuelle …) prouve que c'est un leurre. La peur paralyse, sépare les individus et enferme l'homme dans une mécanique de méfiance qui aggrave les peurs ... On entre alors dans un cercle vicieux. Ce n'est pas en faisant peur aux délinquants qu'on les changera, car s'ils sont délinquants, c'est parce qu'ils ont déjà peur. De même présenter un Dieu juge ne favorise pas la communion avec lui. Or l'Evangile nous propose non pas la peur de Dieu, mais la confiance.          

   -   D'autre part, quand Jésus est venu, le monde, et Israël en particulier, avaient-ils préparé cette arrivée par leur repentance et leur sainteté ? Non ! Or Jésus est venu quand même. D'ailleurs pourquoi serait-il venu si l'humanité s'était guérie elle-même par sa propre repentance ? Jésus a bien dit qu'il était venu pour les malades (Mat 9, 12. 13) ; non pas pour juger, mais pour sauver le monde (Jean 12, 47). C'est le péché de l'homme, et non sa pseudo perfection qui a déterminé la venue du Seigneur.

Aucun texte des Ecritures ne met fin à l'espérance. Disant, par exemple, que si les hommes ne se convertissent pas, le Seigneur ne viendra jamais.

Même le troisième Esaïe ne le fait pas ; lui qui aurait pu dire : le monde et vous-mêmes êtes trop loin de Dieu pour qu'il vienne vers vous.

La 2ème lettre de Pierre imagine que les hommes peuvent hâter le retour du Christ, cependant elle ne ferme pas l'espérance. Non, aucun texte n'accorde une telle puissance à l'homme sur Dieu. C'est dire que la décision de Dieu prime sur les actions des hommes.

Le Seigneur vient, de toutes façons. C'est cela la Bonne Nouvelle. Car il vaut mieux compter sur l'amour de Dieu que sur nos propres capacités.