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- Créé le dimanche 26 octobre 2014 16:55
DU TERREUX A LA VIE SPIRITUELLE
Genèse 2, 18 à 24 – Lévitique 11, 41 à 45 ; 23, 9 à 14 – Marc 10, 1 à 9
Cette année les vignerons se sont fait du souci. A cause des pluies abondantes, ils ont craint que les raisins soient pleins d’eau et non de sucre. Mais il semble que les récoltes de fruits ne soient pas si mauvaises que ça. Nous pouvons donc, en ce dimanche de la fête des récoltes, remercier Dieu pour l’abondance de ses biens.
Depuis le néolithique, les hommes ont toujours remercié Dieu ou leurs dieux pour les récoltes qu’ils faisaient. La fête des récoltes est très ancienne. Elle était très marquée à l’époque où les peuples dépendaient directement de leurs récoltes locales. Les échanges commerciaux n’étant pas développés comme aujourd’hui, on ne pouvait se nourrir qu’avec ce que l’on produisait soi-même. Maintenant (avec le développement des transports), nous pouvons consommer des fruits ou des légumes qui viennent de l’autre côté de la planète.
En Israël aussi (l’Ancien Testament en témoigne) la fête des récoltes était un événement. Cette fête des récoltes était le parallèle automnale de la fête de la moisson, à la fin du printemps. Tous les peuples ont célébré des fêtes à l’occasion des récoltes, au printemps comme à l’automne.
Pourquoi ? Parce que la survie était liée à ce que l’être humain pouvait tirer de la terre. C’est encore vrai, mais l’abondance rend la chose moins évidente. C’est une des raisons pour laquelle la terre a longtemps été considérée comme la mère ; au point qu’on l’appelait : terre-mère. C’est encore le cas, chez certains peuples. Par là même, la terre a souvent entretenu une relation privilégiée avec la femme. On sait que, d’une manière générale, c’est la femme qui a inventé l’agriculture. L’homme, lui, habituellement chasseur, s’est consacré à l’élevage.
Et bien, par une sorte de retournement dont elle a le secret, la Bible nous fait, une fois de plus, voir les choses autrement.
Revenons à Adam et Eve.
Dieu forma l’homme de la poussière de la terre (Gen 2, 7). L’homme est donc de la terre. C’est ce que veut dire son nom : Adam. Un nom issu du mot hébreu adama = terre. Adam, c’est le terreux. Il a la même origine que les animaux, puisque Dieu les a aussi formés de la terre (Gen 2, 19).
La femme, elle, est tirée de l’homme, selon l’opération de la côte d’Adam. Elle n’est pas directement de la terre, elle est rattachée à l’homme. La Genèse et l’Evangile en déduisent un lien privilégié : L’homme s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. Le nom de la femme en témoigne ; il n’est pas issu de adama = la terre ; en Gen 3, 20, Adam l’appelle Eve = Vie ; parce qu’elle est la mère de tous les vivants.
Ce texte n’est évidemment pas scientifique, et ne rend donc pas compte de la réalité, dans laquelle l’homme et la femme sont de même nature. Nous avons, ici une parabole qui veut apporter un enseignement. Un enseignement dont voici quelques éléments :
- Contrairement à la mythologie traditionnelle, la Bible ne rattache pas la terre à la femme, mais à l’homme. Ce qui ne veut pas dire que la femme n’est pas mère ; elle est, au contraire, appelée la mère des vivants. Ce qui ne veut pas dire, non plus, que toute vie doit être rattachée à l’homme ; la femme n’étant, comme on l’a cru longtemps, que le réceptacle de la semence masculine. On sait maintenant que la mère apporte autant de matériel génétique, dans la procréation, que le père.
Ne pas rattacher la terre à la femme, mais à l’homme, cela veut dire que la terre n’est pas mère. Et là encore, la Bible s’oppose aux mythes traditionnels et aux divinités païennes. Ce n’est pas la terre qui nourrit les peuples, ce n’est pas elle qu’il faut adorer et honorer à l’occasion des récoltes, c’est Dieu, c’est lui qui donne la vie ; la terre n’est pas dieu. Et dans ses fêtes des récoltes, Israël a toujours honoré Dieu et non la terre.
- Autre élément que l’on peut dégager de ce texte : Eve (la femme) est la vie qui sort du terreux Adam. Elle est, en quelque sorte, l’aboutissement de la création, selon une progression : terre à homme à femme. Dans un sens spirituel, on peut dire que, dans ce texte, la femme est l’image de la nouvelle naissance spirituelle de l’humanité. L’être humain est en devenir, la femme est le signe de cette espérance. Aragon disait : La femme est l’avenir de l’homme.
Ces considérations éclairent d’une lumière nouvelle le dialogue entre Jésus et les Pharisiens, en ce qui concerne la répudiation.
L’homme et la femme dans la pensée de Jésus.
Les Pharisiens demandent à Jésus s’il est permis à un homme de répudier sa femme (Marc 10, 2). Remarquez bien les termes de la question : ce n’est pas un divorce, à proprement parlé, qui est évoqué ici ; c’est pourquoi il est difficile d’appliquer ce texte au traitement du divorce. Il s’agit bien de la répudiation de la femme par l’homme, et non l’inverse. La répudiation de l’homme par la femme n’existant pas à cette époque, et encore maintenant dans beaucoup de cultures. Cela a de l’importance pour la suite.
Les docteurs invoquent la possibilité, donnée par Moïse, d’accomplir un tel acte, la répudiation de la femme par son mari. Il suffisait de faire une démarche administrative, en quelque sorte : écrire une lettre de répudiation.
Jésus est intransigeant.
C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a donné ce précepte. Cela n’aurait servi à rien d’interdire la répudiation : vous auriez répudié vos femmes dans vos cœurs.
Le problème ne se situe pas dans des règles et des lois, mais dans le cœur. Le fond de la question est d’ordre spirituel et non civil et légal. C’est pour cela que Jésus ne tergiverse pas ; lui qui disait : Qui m’a établi pour être votre juge ? Jésus répondait ainsi (en Luc 12, 14) à un homme qui sollicitait son intervention pour une question d’héritage. Jésus ne s’exprime pas sur le plan légal, mais dans le domaine spirituel.
Dans le dialogue qui nous occupe, avec le Pharisien, Jésus revient au texte de la création. Il souligne l’attachement, voulu par Dieu, de l’homme à la femme, rappelant la parole d’Adam : L’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Ce qui veut dire, selon notre commentaire de Genèse 2, que Jésus insiste sur l’importance de l’espérance de tout être humain en un idéal spirituel. C’est à cette spiritualité, symbolisée par la femme, que l’être humain doit être attaché.
Jésus s’oppose donc à la répudiation de la femme par l’homme, non seulement au nom de la justice et de la protection des femmes, mais parce que cette volonté masculine est le signe d’un désir humain de rester animal, naturel, attaché à la terre. Pour reprendre les termes de la loi de Moïse : c’est une volonté impure, comme tout ce qui rampe sur la terre.
Les Pharisiens souhaitent obtenir du Christ une caution pour répudier de leur vie toute espérance en un avenir spirituel, préférant rester ce qu’ils sont, ne pas évoluer, ne pas changer. Jésus dit : Non ! Car il est venu, justement, pour ouvrir l’humanité à l’espérance d’une dimension spirituelle. L’être humain doit progresser, se réaliser spirituellement ; il doit quitter ses origines terrestres, naturelles, égoïstes (symbolisées par son père et sa mère, dans le texte), pour s’attacher à sa femme, c’est-à-dire à la vie que Dieu donne. Car c’est un don de Dieu, non de la terre ou de la femme.
C’est Dieu qui unit ainsi l’humanité à son devenir, au point que la nature humaine en est changée.
C’est Dieu qui unit ainsi l’humanité à son devenir, afin que le terreux et la vie soient unis, comme une seule chair.
Les textes n’envisagent pas la répudiation de l’homme par la femme, non seulement parce que, nous l’avons dit, c’était impensable à l’époque, mais parce que l’espérance du Royaume ne se sépare jamais de nous. Dieu ne nous répudie jamais.
Réjouissons-nous des biens et des récoltes que Dieu nous donne, de son pain et de son vin. Ils sont les signes de sa grâce et du Royaume qui vient.