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- Créé le dimanche 14 septembre 2014 21:16
VENEZ, LES BÉNIS DE MON PÈRE …
Matthieu 25, 31 à 46 - Genèse 32, 23 à 31 - Jean 3, 17 à 21
Voici un texte qui n’est pas facile en soi. Pour l’expliquer, nous avons besoin d’en voir le contexte, et, tout d’abord, le fait qu’il n’existe que chez Matthieu. Il n’y a, en effet, que cet évangéliste qui place cette parabole dans la bouche de Jésus. Ce qui rend l’authenticité de ce passage un peu plus délicate que (par exemple) l’onction du parfum sur Jésus dont le récit est rapporté dans les 4 évangiles.
Ensuite, il faut noter la place que Matthieu a donnée à ce texte dans son évangile : c’est, en effet, la dernière parabole de Jésus avant son arrestation. C’est avec elle que se termine le chapitre 25 qui contient encore deux paraboles : les 10 jeunes filles qui attendent l’époux et la parabole des talents. Deux paraboles, là encore, rapportées uniquement par Matthieu.
Autrement dit, nous avons là un chapitre entier consacré à ce que le chrétien doit réaliser pour Dieu :
- Dans la parabole des 10 jeunes filles : veiller en attendant l’époux.
- Dans la parabole des talents : mettre en œuvre les talents que le Seigneur nous donne.
- Dans la parabole des brebis et des chèvres : être charitable envers son prochain.
L’ensemble de ce chapitre apporte ainsi l’enseignement que l’on ne peut entrer dans le Royaume que si on en est digne. C’est ce qui ressort des conclusions des deux dernières paraboles :
Ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents, (25, 30) à la fin de la parabole des talents.
Ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle, (25, 46) à la fin de la parabole des brebis et des chèvres.
D’après le contexte, on peut dire que ce chapitre 25 de Matthieu — et tout particulièrement cette parabole des brebis et des chèvres — est écrit pour développer l’idée que l’être humain est sauvé par ses actions et non par grâce.
L’accent est mis sur cet aspect à la fin du ministère de Jésus et juste avant la passion du Christ. C’est pourquoi ce chapitre se termine par un récit qui donne une idée de jugement.
Cette parabole des brebis et des chèvres, est-elle une illustration du jugement ?
On peut poser la question, car ce passage est souvent appelé : parabole du jugement.
C’est, en effet, une illustration, mais qu’une illustration du jugement. Ce n’en est pas une description. Il s’agit bien d’une parabole. La preuve en est qu’il s’agit de juger entre des brebis et des chèvres : animaux qui représentent des personnes, mais qui ne sont pas des personnes.
On ne peut dégager d’une parabole une présentation réelle de l’événement imagé ; comme si on tirait des paraboles du bon Samaritain ou du fils prodigue, la réalité de l’existence de ces personnages. La parabole des brebis et des chèvres ne nous dit pas comment se passe le jugement, mais elle apporte un enseignement spirituel. Il s’agira de le découvrir.
D’autre part, il faut rester conscient qu’il existe, dans le Nouveau Testament d’autres notions de jugement. Telle que celle présentée en Jean 3, 17-21. Un jugement qui correspond à la réalité des faits et non à une image. La réalité qui sous-tend cette notion de jugement, c’est la venue de Jésus. Les hommes, confrontés à la lumière du Christ, préfèrent leurs ténèbres à la lumière. En quelque sorte, ils se jugent eux-mêmes, par rapport au message du Christ.
Ce texte là (et cette présentation du jugement) me parlent davantage que ceux de Matthieu.
Ceci dit, que nous enseigne la parabole des brebis et des chèvres ?
Le Fils de l’homme sépare les brebis des chèvres.
Cette séparation est la conséquence d’une différence d’attitude : les brebis ont été charitables envers leurs prochains, alors que les chèvres ne l’ont pas été.
Puis le Fils de l’homme dit aux brebis : Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume …
Et la question se pose inévitablement : la bénédiction de Dieu ne repose-t-elle que sur ceux qui sont charitables ? Que sur celles et ceux qui vivent en chrétien ? Dieu ne bénit-il pas tous les individus ?
C’est là que tout ce que nous avons dit en introduction a son importance. A savoir que nous avons ici un passage qui s’inscrit dans un contexte de salut mérité et non donné. C’est pourquoi, pour répondre à la question relative à la bénédiction nous aurons besoin d’autres références.
Qu’est-ce que bénir et la bénédiction ?
Trois sens de la bénédiction se dégagent du texte biblique :
1. La bénédiction magique. Selon une conception ancienne de la parole de Dieu.
Elle apparaît notamment dans l’histoire de Balaam (Nom 22 à 24). Au service du roi de Moab pour maudire Israël, Balaam ne peut que le bénir, car dit-il :
Comment maudirais-je celui que Dieu n’a pas maudit ? (23, 8) ; et encore :
Dieu n’est pas un homme pour mentir, ni un fils d’Adam pour se rétracter.
Parle-t-il pour ne pas agir ? Dit-il une parole pour ne pas l’exécuter ?
J’ai assumé la charge de bénir, car il a béni ; je ne me reprendrai pas (23, 19-20).
Selon cette conception, la parole de Dieu fait obligatoirement son effet. Ce que Dieu bénit est béni, et ce qu’il maudit est maudit ; l’être humain ne peut s’opposer à la volonté divine.L’individu béni est forcément protégé, riche, bien portant et fidèle. Sa vie est transformée par la bénédiction qui a un aspect magique.
Selon cette logique, dans la parabole des brebis et des chèvres, la bénédiction de Dieu est première. Les brebis ont été charitables parce qu’elles étaient bénies, et non l’inverse ; elles n’ont pas été bénies parce qu’elles étaient charitables.
2. La bénédiction méritée.
Elle est présentée essentiellement en Deut 30, 15-18, où il est écrit : Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd’hui d’aimer le Seigneur ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, je vous le déclare aujourd’hui : vous disparaitrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.
Dans cette optique, le bonheur est dépendant de l’obéissance de l’être humain.
Selon cette conception, les brebis sont bénies parce qu’elles étaient charitables.
3. La bénédiction accompagnement.
C’est le cas de bénédiction le plus fréquent dans la Bible.
Dans le cas de la bénédiction accompagnement, Dieu dit du bien. C’est le sens étymologique du mot « bénédiction », béné-diction : la diction du bien.
Et cette parole ne déclenche rien de magique, ni protection, ni réussite, ni fidélité obligatoire.
Dieu dit du bien des personnes ainsi bénies, indépendamment des choix et des objectifs de ces individus :
C’est ainsi que Dieu bénit Adam et Eve dès leur création (Gen 1, 28), avant qu’ils aient dit ou fait quoi que ce soit. Et cette bénédiction ne les a pas empêchés de commettre la faute.
C’est ainsi que Dieu bénit Abraham (Gen 12, 2-3) ou Jacob (Gen 28, 1-3). Et cette bénédiction n’a pas lésé leur liberté de faire de mauvais choix, parfois, dans leurs vies.
La bénédiction est de l’ordre de l’accueil, de l’accompagnement inconditionnel de Dieu. C’est un don de Dieu, et non la conséquence d’une vie bonne et de comportements justes.
Bénir, c’est une parole qui dit du bien de la part de Dieu, une parole qui nous place sous le regard bienveillant de Dieu qui veut notre bonheur. La bénédiction est signe de l’amour premier de Dieu, dans la ligne de la justification qui nous est donnée indépendamment de nos mérites. Bénir au nom de Dieu, c’est d’abord dire, redire, à ceux qui sont bénis que Dieu les aime gratuitement et qu’il les accueille sans conditions ; bénir, ce n’est donc pas dire que Dieu approuve nos actes, c’est marquer qu’il nous entoure de sa bienveillance, que son pardon est plus grand que nos errances et qu’il veut être présent auprès de nous même quand les chemins que nous empruntons paraissent tortueux[1]
C’est à ce sens de la bénédiction (le plus fréquent dans la Bible) que je me rattache.
Mais une parole qui « dit » du bien « fait » aussi du bien à ceux qui la reçoivent, et elle crée ainsi du bien. Il n’y a pas là de dimension magique, mais une réalité toute simple : l’effet d’une parole bienveillante peut être grand, et tout particulièrement quand elle est prononcée au nom de Dieu ; parce qu’elle renvoie à celui qui fait toutes choses nouvelles, parce qu’elle propose de vivre dans la confiance en lui, elle ouvre l’avenir, elle suscite et oriente une dynamique de vie nouvelle.[2]
C’est ce qui ressort de l’histoire de Jacob au torrent du Jabbok (Gen 32, 23-32).
Les circonstances de cette histoire sont dramatiques :
De retour de chez son oncle Laban (où il s’est enrichi), Jacob est confronté à la haine de son frère Esaü qui vient à sa rencontre avec 400 hommes armés. Il divise son camp de façon à faciliter le sauvetage d’une partie de ses biens, s’il venait à être attaqué. Il met sa famille à l’abri. Puis il se retrouve seul, de nuit, près du torrent de Jabbok, lorsqu’il est surpris par un homme. Le texte ne dit pas ce que cet inconnu vient faire ici. Vient-il réconforter ou agresser Jacob ?C’est, visiblement, ce dernier sens qui est retenu par Jacob (la tension que connaît Jacob à cet instant y est sans doute pour quelque chose). Jacob se sent donc agressé, puisque le récit raconte que Jacob se bat avec ce personnage. L’histoire rapporte que cet inconnu se roule avec Jacob dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore.
Voyant qu’il ne pouvait pas vaincre Jacob, l’homme le touche à la hanche, et celle-ci se déboîte. Geste tragique pour Jacob, mais en même temps salutaire, car Jacob comprend que son adversaire est divin, et il lui demande alors quelque chose d’étrange.
Jacob demande à l’inconnu de le bénir.
Sans doute Jacob a-t-il compris qu’il ne pouvait pas continuer à vivre seul, qu’il avait besoin de Dieu.
Et comment Dieu va-t-il s’y prendre pour bénir Jacob ? Il lui donne un nom nouveau. Jacob ne s’appellera plus Jacob, mais Israël, c’est-à-dire : vainqueur avec Dieu.
Désormais Jacob ne vivra plus seul, sans Dieu ; mais avec Dieu. Dieu l’accompagne, et peu importe ce que Jacob fera dans sa vie : des erreurs, des bêtises, des fautes ; et aussi de bonnes actions.
Peu importe que Jacob soit boiteux ou non. En fait, il le restera toute sa vie. Comme quoi, un malheur, un handicap, une souffrance peuvent aussi être des bénédictions, c’est-à-dire des signes de l’action de Dieu dans nos vies. Mais ceci doit être dit avec précaution et sans généralisation, car il existe des souffrances et des malheurs qui ne sont pas des bénédictions.
Dieu a donné à Jacob une identité, un nom, une place à côté de lui. Il le reconnaît, lui parle, devient son ami. Dieu sera toujours là, à ses côtés.
C’est une grâce que Dieu accorde, et comme toute grâce, elle est inconditionnelle.
C’est ce que Dieu nous charge de proclamer lorsque nous bénissons : une reconnaissance, une place à nos côtés, une grâce, le pardon inconditionnel de la part de Dieu. C’est cela « bénir » ; et cette bénédiction est un ferment de vie.
C’est ce que le Christ nous invite à vivre dans nos relations avec nos prochains : donner un nom nouveau à notre prochain, lui accorder une place dans nos vies, le reconnaître, vivre avec lui, comme on veut vivre avec le Christ. C’est le message premier de cette parabole des brebis et des chèvres, car n’oublions pas cette parole du roi, dans cette parabole : En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait !
Bénir, c’est donc donner à l’autre, dans nos vies, la place de Jésus-Christ.
A qui Jésus dit-il : Venez, les bénis de mon Père ?
Est-ce à celles et ceux qui sont charitables seulement ? Ce serait enseigner que Dieu n’accorde pas sa grâce à tous, qu’il fait des choix, des tris, des différences.
Certes, ceux qui ont été charitables ont fait passer la bénédiction reçue dans leur reconnaissance du prochain, mais cela ne veut pas dire que les chèvres n’ont pas reçu la bénédiction de Dieu.
Si la bénédiction divine est une manifestation de la grâce de Dieu, alors elle est accordée au monde entier. Si l’humanité n’a pas encore reconnu Jésus dans tout prochain, c’est que la bénédiction et la grâce divine n’ont pas encore apporté tous leurs fruits. Mais je veux croire que cela viendra.
C’est à nous tous que Jésus dit : Venez, les bénis de mon Père ; parce que nous avons tous été bénis du Père. Et s’il nous arrive de ne pas reconnaître Jésus dans nos prochains, la bénédiction de Dieu est là pour nous aider à le découvrir.
Alors venez au Père afin de recevoir sa bénédiction !