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- Créé le dimanche 7 septembre 2014 20:38
VEILLER A L'AMOUR
Matthieu 18, 15-20 - Romains 13, 8-14 - Ezéchiel 33, 1-9
La condition de veilleur cadre bien avec les circonstances de la vie d'Ezéchiel. Ezéchiel prêche de 593 à 571 av. J-C, à Babylone, où il a été déporté en 597, avec des jeunes gens de l'élite d'Israël, lors de la 1ère prise de Jérusalem par les Babyloniens. Jérusalem tombe une 2ème fois en 587, et c'est là que la ville est détruite et que la majeure partie de la population est exilée.
Le contexte est donc guerrier, et en cas de guerre, il faut veiller. Il faut sans cesse être aux aguets sur les murailles, pour voir l'ennemi approcher et ne pas être surpris par l'attaque. La victoire ou la défaite dépendent de la vigilance des défenseurs. Il faut veiller non seulement sur soi, mais sur les autres. Il faut garder un œil attentif sur le pays environnant, mais aussi sur le compagnon qui veille, car s'il s'assoupit, s'il manque de vigilance, c'est toute la ville qui est en danger.
Cette image de la sentinelle s'applique, en priorité à Ezéchiel lui-même. C'est la fonction, dans le texte, que le Seigneur lui donne ; c'est son rôle en tant que prophète.
Mais bientôt, chaque Israélite sera convaincu d'être une sentinelle, et en profitera pour surveiller les faits et gestes de ses voisins. Le développement de l'impact de la loi au sein du judaïsme favorisera ce jugement réciproque, et fera les beaux jours de l'accusation.
Ezéchiel prêche la responsabilité humaine face au malheur.
En ce sens, il est disciple d'Amos et d'Esaïe qui, au siècle précédent, avaient introduit cette notion en Israël. Jusque là, lorsque le malheur frappait, c'était parce que telle était la volonté de Dieu. C’est ce qui transparaît dans la phrase de Job frappé par le malheur : Dieu a donné, Dieu a ôté ; que le nom de Dieu soit béni (1, 21). Un dicton illustrait la pensée de cette époque ; il est cité par Ezéchiel (18, 2) et par Jérémie qui prophétisait quelques années plus tôt (31, 29). Ce dicton disait : Les parents ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées. Cette maxime soulignait :
- La valeur collective du peuple d'Israël.
- L'absence de responsabilité personnelle de l'individu.
- L'hérédité créatrice de vices.
Mais Ezéchiel n'est pas d'accord avec ce proverbe ; il dit : L'âme qui pèche, c'est celle qui mourra (18, 4). Autrement dit : l'impiété du père ne peut empêcher le fils de s'approcher de Dieu, et le fils impie ne peut profiter de la justice du père (18, 19-20). A chacun de se déterminer par rapport à Dieu. L'individu est responsable de ses choix, et en subit les conséquences.
Un tel discours est dangereux, pour deux raisons qui paraissent contradictoires :
- Il pousse l'individu au soupçon et à l'accusation ; la faute étant la cause du malheur. Dès que le malheur frappe (ou pour qu'il ne frappe pas), on recherche activement les coupables. Et plus la religion a d'impact dans la société et plus cette accusation est féroce. La situation dans les pays intégristes le manifeste parfaitement.
- D’autre part, la thèse d’Ezéchiel est dangereuse, parce qu’elle conduit à un individua-lisme qui sépare les personnes. En effet, si chacun subit les conséquences de ses choix, la faute commise ne doit produire que la punition du coupable, et non celle de la société. En ce cas, chacun peut vivre comme il l'entend sans se préoccuper du voisin. C'est un peu ce que notre monde occidental a tiré de ce message.
Pour éviter cette dérive, Ezéchiel insiste sur l'aspect collectif de la responsabilité individuelle — par l'image de la sentinelle — disant que le malheur peut frapper par la faute d'autrui, ou par ma faute. Et dans sa prophétie, une phrase revient régulièrement : Je te redemanderai son sang (33, 8).
Cet enseignement a pour conséquences :
- Le rétablissement de la notion de corps collectif. En effet, il n'est plus possible de vivre chacun pour soi, si les actes privés touchent tout le monde.
- Et un développement de la responsabilité. Car je ne suis pas responsable que de moi-même, mais aussi des autres. Et, par là même, la peur augmente, car le poids de cette responsabilité devient très lourd.
- Enfin on assiste aussi à une recrudescence de la suspicion et de l'accusation. Tout le monde surveille tout le monde.
Sommes-nous donc condamnés à sombrer dans ces deux extrêmes que sont l'indifférence ou l'accusation ? N'y a-t-il pas une autre voie, ou un moyen terme entre ces deux façons de vivre ? Que dit le Nouveau Testament, à ce sujet ?
Le message du Nouveau Testament.
Nous le trouvons, notamment, en Mat 18, 15-18.
Notons, d'emblée, les doutes que l'on peut émettre en ce qui concerne l'authenticité de ce texte.
Ces paroles ne seraient pas du Christ, et peut-être même pas écrites par Matthieu. Pourquoi ? A cause de l'emploi, à deux reprises, dans ce passage, du terme Eglise. En dehors de ce texte, et de Mat 16, 18 (Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise), il n'y a pas d'autre emploi de ce terme dans les 4 évangiles. Le mot Eglise fut introduit par les chrétiens dans la 2ème moitié du 1er siècle, mais il n'est pas cité par Jésus. Ce qui rend ces deux passages suspects.
Ces textes de Mat (16 et 18) dénotent une volonté d'organisation et d'autorité dans l'Eglise. Préoccupations plus en lien avec des communautés déjà existantes qu'avec l'enseignement de Jésus. C'est à la fin du 1er siècle, et plus tard, que les chrétiens se sont intéressés à la question de l'autorité dans l'Eglise. Jésus, lui, a parlé de grâce et d'amour.
Indépendamment de ces remarques, ce texte a plutôt tendance à adoucir une discipline trop stricte, par opposition à ce qui se passait dans la communauté juive de Qumran, par exemple, où l'on excluait le pécheur sans ménagement.
L'évangile de Matthieu, lui, prévoit des entretiens avant toute exclusion.
Ce n'est pas tant l'Eglise qui est protégée. Il n'est pas, par exemple, fait mention du scandale et de la honte que le péché pourrait amener sur la communauté.
L'important, ici, c’est l'individu, le pécheur, avec lequel on parle seul à seul. Tout est fait pour le gagner, pour qu’il ne quitte pas la communauté.
D’autre part, le péché n'est pas rédhibitoire. Le pardon est possible ; il est même recherché.
Comment vivre la vigilance dans les rapports avec autrui ?
Ezéchiel semble nous dire que le prophète est celui qui épie ses coreligionnaires, dans la crainte de laisser passer la moindre faute. On connaît les ravages d'une telle attitude :
La culpabilisation de soi et d'autrui, et la volonté de contrôler la vie des autres. Ce qui conduit à l'abus de pouvoir et à l'absence de liberté.
Dans sa lettre aux Romains, Paul aborde le thème de la vigilance, parce que pour lui aussi — comme pour Ezéchiel — les temps sont particuliers. Vous savez en quel temps nous sommes, écrit-il aux chrétiens de Rome (13, 11). L’apôtre fait allusion à la parousie à venir : le salut est plus près de nous qu'au moment où nous avons cru. Et puis le contexte historique est celui des persécutions ; il y a donc lieu de veiller, en effet.
Mais qu'est-ce, pour Paul, que veiller ? Et tout particulièrement en ce qui concerne les relations entre les personnes. Il écrit, au verset 8 : N'ayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres.
Regardez le prochain, veiller sur lui, oui ! Pas question de vivre chacun pour soi, indifférent au devenir du prochain. Le chrétien ne vit pas seul, mais en communauté.
Veiller sur le prochain, mais pas pour l'espionner, l'accuser, le prendre en faute. Veiller sur les autres pour les aimer, pour les protéger et les rendre heureux. Voilà ce à quoi nous devons veiller : veiller à aimer notre prochain.