Au fil des mots : blog de la paroisse protestante unie de Chabeuil - ChâteaudoubleAu fil des mots

Poèmes, textes... il nous ont touché, ont résonné en nous. Nous vous les proposons.

Se souvenir du serrement de mains


Si l’habitude du serrement de main devait disparaître, ce serait une vraie perte, un recul de civilisation.

Se souvenir du serrement de mainsSouvenons nous du serrement de main du serment, du serrement de main du contrat conclu et que l’on s’engage à respecter.
Souvenons nous de la poignée de main des sportifs à la fin de la joute, de la poignée de main, très ancienne, immémoriale, de qui voulait signifier qu’il avançait désarmé, sans dague cachée, sans intention hostile et belliqueuse…
Souvenons nous de la poignée de main fraternelle, en même temps que le tutoiement que les quakers opposaient au goût pour le cérémoniel de l’establishment américain, la génuflexion…
Souvenons du Président Roosevelt (prix nobel de la Paix) qui disait « malheur à qui ne sait pas reconnaître son prochain à sa poignée de main », de la Révolution française et de sa volonté d’imposer ce geste citoyen face aux révérences et prosternations de l’Ancien Régime, de l’égalité entre les hommes et les femmes qui passe aussi par là, de cette héroïne de Jane Austen dans « Raisons et sentiments » qui traverse au mépris des conventions, un salon londonien afin d’aller serrer la main de l’hmome qu’elle aime…
Souvenons nous des caricatures, qui au début du XX° siècle, moquaient Edouard VII à la main droite toujours gantée de façon à ne pas s’exposer aux contacts avec ceux qui n’étaient pas de son monde…
Souvenons-nous de Victor Hugo qui ponctuait invariablement ses lettres d’un « je vous serre les mains »,
Souvenons nous que l’avantage de la poignée de main permet d’être proche mais pas trop, de se toucher sans effusion, bref de créer et maintenir la juste distance...

Extraits d'un bloc notes de Bernard-Henri Levy

Poème à mon frère blanc

Cher frère blanc,
Quand je suis né, j’étais noir,
Quand j’ai grandi, j’étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.

Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.

Alors, de nous deux,
Qui est l’homme de couleur ?

Léopold Sédar SENGHOR

La bonté

Ces dernières semaines, l’épreuve était le confinement chez soi. Encore une fois, la majorité de la population s’est comportée avec civisme. Et encore une fois, le pays a traversé l’épreuve grâce au dévouement de personnes ordinaires : les aides-soignantes, les infirmières, les caissières.

Ces hommes et ses femmes m’ont fait penser à ce que Vassili Grossmann appelait dans son roman, Vie et Destin, la petite bonté.
L’écrivain met en scène le vieil Ikonnikov, un soviétique interné dans un camp de concentration allemand, qui médite sur le sens du bien. Il commence par remarquer qu’une des leçons de l’histoire est que les grandes idéologies qui prônent le bien comme absolu ont fini dans la tyrannie.
Au grand bien, le prisonnier oppose la petite bonté : « C’est la bonté d’une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C’est la bonté de ces gardiens de prison, qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de détenus adressées aux femmes et aux mères… Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée, occasionnelle, sans idéologie, est éternelle. »

Une bonté sans pensée qui me fait penser à la parole de Jésus : « Quand tu fais un acte de compassion, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite. » (Matthieu 6.3)

Une bonté sans pensée qui me fait penser à la foi de Paul Ricœur : « J’ai besoin de vérifier la conviction qu’aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. Et si la religion, les religions ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est complètement enfoui. »

Une bonté sans pensée qui m’interdit de désespérer de mon prochain

Antoine Nouis

Le tailleur et le noble

Un tailleur juif fut chargé par un noble de sa ville de coudre une rare pièce de vêtement dans un précieux tissu acheté à Paris. Le noble lui recommanda de réaliser un chef d'œuvre. Le tailleur sourit et répondit qu'il n'avait pas besoin d'encouragement car il était le meilleur de la région.

Le tailleur et le noble - Fable de Erri de LucaSon travail une fois terminé, il porta le vêtement à son illustre client, mais en échange il ne reçut que des injures et se vit accusé d'avoir gâché le tissu.

Le tailleur, décontenancé et humilié, alla demander conseil au roi Reb Yerahmiel qui lui dit à peu près ceci : "défais toutes les coutures du vêtement, puis refais les exactement dans les mêmes points qu'avant. Ensuite rapporte le lui".

Le tailleur suivit l'étrange conseil et rapporta le vêtement au noble. A sa grande surprise le Seigneur parut enthousiasmé par le travail et ajouta même une prime à son salaire.

Reb Yerahmiel lui expliqua ensuite ceci : "la première fois tu avais cousu le vêtement avec arrogance et l'arrogance n'a pas grâce. C'est pourquoi tu as été repoussé. La seconde fois tu as cousu avec humilité et le vêtement a pris toute sa valeur."

Extrait de Alzaïa, Erri De Luca. Erri De Luca est un écrivain, poète et traducteur italien contemporain.

Anagramme

Sauriez-vous trouver l'anagramme de Résurrection ?

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Quel est l'anagramme de Résurrection ?

8 mai 2020

Magda Hollander-Lafon (92 ans) fait partie des derniers rescapés d’Auschwitz-Birkenau.
Face à l’épidémie mondiale de coronavirus, elle nous invite à puiser en nous la force de la vie.

 

Magda Hollander-Lafon « Dans les camps, j’ai connu la peur. La peur de l’autre. La peur vous paralyse, vous n’avez plus de mot, vous n’existez plus. On fait de vous ce que l’on veut.
Dans les camps, un moment, il m’a été donné de ne plus avoir peur : j’ai accepté l’idée que j’allais mourir. En acceptant cette peur, en me disant « je vais mourir », une force de vie est montée en moi, une imagination débordante s’est emparée de moi et j’ai pu inventer la vie.
Si l’on s’approchait de moi pour me battre, et Dieu sait ce qu’être battue dans un camp veut dire, je ne sentais plus les coups. J’étais tellement préoccupée par ce que j’avais à faire, à inventer, pour survivre encore un peu. En nommant la peur, la peur n’a pas raison de nous car, en face d’elle, nous existons.

Le contexte actuel est totalement différent. Même si, en cette période de catastrophe sanitaire mondiale et du confinement qui en découle pour protéger nos vies et celles des autres, nous avons peur.

Nous pouvons nous sentir dépassés, nous replier sur nous, nous sentir victimes ou bien traverser humblement l’événement en nous tournant vers notre intériorité, y retrouver la force de vie qui habite chacun de nous, y puiser la confiance et l’espérance, l’envie de rassembler. Appeler en soi le goût, l’amour des autres, la reconnaissance, la gratitude…

Aujourd’hui, je suis émerveillée des gestes de solidarité qui se multiplient. Le mot solidarité me touche beaucoup. Être solidaire, c’est reconnaître l’autre dans son existence même. Un regard peut tuer, un regard, un sourire, une parole, un appel téléphonique peuvent appeler à la vie.
Tous ces gestes viennent dire que chacun peut donner le meilleur de soi, mettre son attention, son imagination au service de l’autre.

Développer la présence à soi permet de développer la présence et la reconnaissance de l’autre là où il est. Demain dépend de la manière dont nous vivons ce présent. Ce qui compte, c’est de porter, supporter, assumer une souffrance.
Mon expérience des camps m’a donné la certitude que nous possédons en nous une énergie intense et unique par laquelle nous pouvons trouver, chaque jour, la force d’inventer la vie. Cette crise nous invite à plus de solidarité, à puiser en nous-mêmes des ressources que nous ne connaissions pas, à faire de notre mieux, exactement là où nous sommes.

Puisqu'il est question de contagion, que ce soit celle de plus d'amour et de service à l'autre. Alors, il se pourrait que demain nous réserve de belles surprises. »

Magda Hollander-Lafon est née dans une famille juive et a été déportée à l’âge de seize ans à Auschwitz-Birkenau où toute sa famille a péri. Mais au cœur de l’horreur, elle a rencontré aussi la bonté. Celle, par exemple, de cette femme qui, en mourant, ouvre la main pour lui offrir quatre petits bouts de pain. Rescapée de la Shoah, elle est recueillie en Belgique et devient psychologue pour enfants, rencontre à cette époque la foi chrétienne et se définit aujourd’hui comme juive baptisée. Elle intervient auprès des jeunes pour témoigner, mais aussi parfois pour les accompagner intérieurement.
Magda Hollander-Lafon est auteure et a notamment écrit "Quatre petits bouts de pains : des ténèbres à la joie

Il faut être très poli avec la terre

Il faut être très poli avec la terre
Et avec le soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
A toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter...
Les critiquer
Ils savent ce qu’ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d’eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé...

Le soleil est amoureux de la terre
Ça les regarde
C’est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n’est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C’est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s’en mêler
Parce que
Si on s’en mêle on risque d’être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser

Le Soleil aime la terre
La terre aime le soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la lune se lève
La lune c’est l’ancienne amoureuse du soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie

En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :
" Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu’on dort la nuit. "

Jacques Prévert

Pensée

Si cette vie que bat le vent de mille maux

Est plus fragile qu'une bulle sur l'eau

Il est miraculeux, après avoir dormi,

Inspirant,expirant, de s'éveiller dispos.

Nāgārjuna - Moine , philosophe , écrivain bouddhiste indien (II e - III e siècle)

Parole de Jésus

Pour le comprendre, il fallait marcher avec lui, descendre de son pas léger vers le lac.

Pour comprendre Jésus il fallait retourner à Tibériade, y pêcher notre poisson du jour, le faire griller entre deux pierres… puis tout à coup sentir une main sur notre épaule ; après la fatigue du chemin, c’était le signe que l’on pouvait s’asseoir.

Puis écouter. Ne pas s’étonner alors si les arbres se penchaient, si les chiens se taisaient, il n’y a que ceux qui se croient sages qui ne se sentent pas concernés…
Sa voix n’est pas si grave qu’on l’imagine, elle garde l’empreinte de son sourire, cela n’enlève rien à la profondeur de ce qui est dit. On ne comprend pas tout de suite, mais il suffit d’avoir reçu une gifle de l’océan pour savoir qu’il nous faudra apprendre à nager.
Ses paroles sont des semences, du grain jeté en terre, elles doivent traverser l’hiver, celui de nos doutes ou de nos explications inutiles. Puis un jour « la parole se fait chair ». On comprend parce qu’on a vécu, parce qu’on a mis en pratique. Comme si l’Intelligence de l’Amour ne se révélait qu’aux actes. Des actes précis, tendres ou fiers, avec un je-ne-sais-quoi de « gratuit ». On comprend alors que le Dieu de Jésus est en nous. Nos limites sont des berceaux d’infini.

Parole de Jésus - Carnets de SagesseSon enseignement est là pour faire fleurir le meilleur du meilleur de nous-même et encore quelque chose de plus. Ce plaisir là ne tient pas boutique dans les rues, il n’est ni à acheter ni à vendre. Paix et joie étranges, purs échos d’une Présence inconnue.
Il ne faudrait pas séparer les paroles et la vie de Jésus (pour une fois que l’on rencontre quelqu’un qui dit ce qu’il pense, et qui fait ce qu’il dit !) ; alors replaçons chacune de ses paroles dans un contexte de vin et de pain partagés, mais aussi de blessures et de sang versés.
Car cette parole a un visage et ce visage a tous les visages de l’homme. Celui du sage qui enseigne les voies de la béatitude et de la patience face à l’échec et aux souffrances, le visage de l’homme qui marche sur la terre avec sa faim, sa soif et ses amis.
Il prend soin des malades, il écoute encore plus tendrement qu’il ne parle, et les possédés dans son regard retrouvent les étincelles de la liberté. Il ne pose pas d’étiquettes sur certains nombre de comportements jugés inacceptables : que l’on soit adultère, pécheur, criminel, prostituée… il ne voit que des hommes et des femmes qui souffrent en quête d’impossible amour, en demande de pardon ou de reconnaissance…

« Nul n’a jamais parlé de cet homme », disait déjà le centurion, et sa puissance de séduction, malgré les caricatures qu’on a voulu en dresser à travers les siècles, continue, intacte, à inspirer les plus fous et les plus sages.
Ses paroles restent encore et toujours à découvrir, car l’Evangile ne sera jamais compris que par ceux qui l’incarnent et le vivent. La metanoia nous invite à aller sans cesse au-delà du mental, c’est-à-dire au-delà du connu.

Metanoia est un terme traduit généralement à tort par conversion ou pénitence : c’est au contraire une invitation à aller au-delà de l’intelligence humaine close sur elle-même : métamorphose, transformation, aurait-il fallu écrire dans nos Evangiles pour mieux comprendre son message.
Dostoîevski ne connaissait rien de plus beau que le Christ ; il discernait en Lui le plus humain et le plus divin, le plus éveillé et le plus obscur. Au-delà de tous les dualismes qui opposent sans cesse la mort et la vie, crucifixion et résurrection, sang et lumière, il ne voyait pas d’autre visage qui puisse ainsi rassembler tous les visages.

Extrait de "Paroles de Jésus" des "Carnets de Sagesse" ed. Albin Michel - Présenté par Jean-Yves LELOUP.

Journal d'Etty Hillesum

Je vais t'aider, Mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance.

Etty HillesumUne chose cependant m'apparaît de plus en plus claire: ce n'est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t'aider, et ce faisant nous nous aidons nous mêmes.

Tu connaîtras certainement des moments de disette en moi, Mon Dieu, où ma confiance ne te nourrira plus aussi richement, mais crois moi je continuerai à œuvrer pour toi.

Utilise à bon escient chaque minute de ce jour. Fais en une journée fructueuse une forte pierre dans les fondations où s'appuient nos angoisses.

Extrait du journal d'Etty Hillesum - 12 juillet 1942
Esther « Etty » Hillesum, née le 15 janvier 1914 aux Pays-Bas et décédée le 30 novembre 1943 au camp de concentration d'Auschwitz, est une jeune femme juive et une mystique connue pour avoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, tenu son journal intime et écrit des lettres depuis le camp de transit de Westerbork.